Deux siècles de sollicitude: représentations de la servitude féminine d’Un Coeur simple à l’éthique du care
Résumé
Nombreuses sont les figures mémorables de servantes, bonnes, femmes de ménage dans la littérature des XIXe et XXe siècles, que ces représentations s’inspirent ou non de réalités extratextuelles de la société contemporaine à l’écriture. Il nous semble aujourd’hui que la carrière littéraire de cette figure a connu une certaine, voire une importante évolution ; nous préférons même identifier deux lignées distinctes. Premièrement, les figures féminines inspirant une sainte horreur, mêlée d’un sentiment d’exotisme, de compassion, d’attirance-répugnance voire de désir de l’altérité. Certains cas se rapprochent d’une animalisation de la femme, comme dans le roman de Dezső Kosztolányi, Anna La douce, où la séduction de la petite bonne conduit inévitablement à sa perte et à sa criminalisation. Deuxièmement, depuis le tournant sociologique et éthique de la littérature, la figure de la bonne s’est affranchie de ses arrière-goûts pour entrer dans l’ère de l’éthique du care et d’une pensée morale et féministe. Si certaines représentations semblent encore être attachées à une poétique de l’horreur et du fait divers en perpétuant la tradition des Bonnes de Jean Genet et l’exaltation de ce que les surréalistes appelaient – il nous semble aujourd’hui, à tort – l’hystérie (Chanson douce), d’autres mises en texte, liées à un réalisme sociologique tout aussi poétique (l’école de Montana ou le roman documentaire de Florence Aubenas, Le Quai de Ouistreham) participent d’un renouveau responsable et féministe de la littérature comme action sur le présent, soucieuse de « maintenir, perpétuer et réparer notre monde » ( Joan Tronto 1993).
Mots-clés : réalisme social, servante, code hiératique, théorie du care